Histoire du parti radical
Yves Morel
Le radicalisme est une tendance majeure de la vie politique française contemporaine, un élément essentiel de la sensibilité nationale. À l’origine fraction avancée du mouvement républicain, avec Ledru-Rollin, il a joué un rôle déterminant dans l’édification de la Troisième République à la fin du XIXe siècle. S’il n’a pas dirigé cette dernière jusqu’au début du XXe siècle, il en a cependant forgé sa doctrine et sa morale, au point qu’il a fini par s’identifier à la République elle-même.
Cette identification, contestable si l’on s’en tient à l’exactitude des faits ici rapportés, a entraîné l’attribution aux radicaux des grandes réalisations républicaines (École publique, institution des libertés publiques, constitution de l’Empire colonial) accomplies en réalité souvent par leurs adversaires, sans eux, et parfois malgré eux.
Identifié à une République prospère, glorieuse et conquérante, le radicalisme a, aussi, présidé à son déclin. Celui-ci commence avec leur arrivée au pouvoir (à partir de 1902) et se poursuit durant tout l’entre-deux-guerres, alors que les radicaux dominent le Parlement et dirigent très souvent le gouvernement. Incapables de comprendre les transformations d’un monde qui voue à l’obsolescence leur modèle (Herriot en donnera une illustration éclatante), les radicaux vont connaître un déclin politique continu que ne dissimulent pas la figure d’un Mendès France, ou une importance brièvement retrouvée sous la Quatrième République.
Yves Morel conclut ainsi son étude : Si les radicaux peinent à affirmer leur spécificité, c’est que la majorité des Français est devenue radicale. Cette situation est à la fois leur faiblesse et leur force.
Diplômé de l’École des hautes études en sciences sociales, docteur ès-lettres (Histoire), ttulaire d’un DEA de sciences de l’éducation, Yves Morel, ancien fonctionnaire de l’Éducation nationale, est l’auteur d’une thèse consacrée à Charles Seignobos (Charles Seignobos face à ses contradicteurs, Presses Universitaires du Septentrion, 1997), d’une histoire du CRDP de Lyon (50 ans d’histoire du système éducatif français : le CRDP de Lyon, Presses du CRDP, 2005, d’ouvrages relatifs à la crise de l’école en France (L’idéal scolaire français : de l’utopie à l’entropie, Bellier, 2007).
Du même auteur :
La fatale perversion du système scolaire français
La vraie pensée d'Augustin Cochin
Dans la presse
La Nef, n°273, septembre 2015
Le 13 février 1952. à la clôture du banquet qui en fêtait le cinquantième anniversaire, Édouard Herriot, son mammouth suprême, avait déclaré: "Si le Parti radical n'existait pas, il faudrait le créer…" Quoique bien diminué déjà, le dit parti continuait d'être posté aux abords du Pouvoir, et ses caciques gardaient encore l'habitude des portefeuilles ministériels ou même de la présidence du Conseil. La particularité des radicaux, en tout cas, ce fut, pendant longtemps, un bourgeoisisme qui faisait parade de ses affinités révolutionnaires, un anticléricalisme plus étroit et plus rustique que celui des autres républicains assorti de complaisances manifestes à l'égard de l'argent, et donc l'appartenance à un organisme polymorphe qui jouait au moins sur deux tableaux, usait de deux qualifications et s'appelait radical-socialiste. Cet artifice, d'ailleurs, se montrerait merveilleusement fructueux. Connaissant sur le bout du doigt les mystères de la politique d'arrondissement, les notables radicaux, jusqu'à l'année 1940, vont occuper du Nord au Midi quantité de fonctions électives, emplir la Chambre des députés et coloniser le Sénat, fournir le régime d'un lot imposant de personnages consulaires. Par malheur, une telle gloutonnerie ne voyait guère plus loin que son museau. Si finauds lorsqu'ils manœuvraient pour leurs intérêts de clans, combien ils devaient s'avérer incapables de gouverner la France quand, vers 1932-1933, grandirent les périls.
Scindé depuis 1973 en deux maigres branches, l'une satellite du pôle "modéré", l'autre satellite du pôle "socialiste", le radicalisme, aujourd'hui point de ralliement des quelques-uns réduits à faire cuire leur petite carrière sur ce feu mourant, oui le radicalisme, en tant que puissance dans l'État, a disparu. Et, au rebours des enluminures incongrues du présent ouvrage, nous aurions préféré. pour narrer I'histoire en question, les sévères couleurs qu'exige une stricte équité. Michel Toda
L'Action Française 2000, n°2914, du 1er août au 2 septembre 2015
Le premier mérite du livre d'Yves Morel est de nous raconter une histoire que nous avons tendance à négliger, celle des "républicains" de la IIIe République (à ne pas confondre avec les socialistes), République qui fut d'abord celle "des ducs" (et de l'attente de la restauration du comte de Chambord), et qui ne devint que tardivement "Républicaine". Histoire qui devrait pourtant nous être familière, puisque le Parti radical est, avec nous, la plus ancienne formation politique française. L’Action française fut fondée par Pujo et Vaugeois en 1899 et le "Parti républicain, radical et radical-socialiste" vit le jour deux ans plus tard, en 1901. L'AF et les radicaux sont d'ailleurs un peu des frères ennemis, les seconds incarnant l'établissement du régime républicain, alors que la première est la seule force à s'y opposer avec une certaine vigueur au début du XX" siècle.
Le second mérite de ce livre est d'être une source d'enseignement pour notre "empirisme organisateur", puisqu'il nous permet d'illustrer une loi politique bien française: le "sinistrisme" (le mot est d'Albert Thibaudet), ou déplacement tendanciel vers la gauche de la vie politique, qui voit les partis de gauche sans cesse poussés vers la droite par l'apparition d'une nouvelle frange progressiste plus ''radicale". La droite d'origine (monarchiste) étant, quant à elle (hors Action française), progressivement éliminée du champ politique. Les "radicaux" des années 1880, la gauche de la gauche de l'époque (par opposition aux républicains "opportunistes" ou "modérés"), devenus "radicaux-socialistes" en 1901, sont, en effet, aujourd'hui, à travers leurs héritiers du Parti radical "valoisien" (par opposition au PRG allié du PS), une composante de la droite (hier de I'UMP, aujourd'hui de I'UDI), après avoir incarné le centre pendant l'entre deux-guerres. Les radicaux ont été dépassés sur leur gauche par la SFIO, longtemps marxiste et révolutionnaire, mais devenue progressivement elle-même un parti de centre gauche, voire, à travers son prolongement actuel, le Parti socialiste, un parti "de droite" aux yeux de la gauche "radicale" contemporaine.
La Ve République n'a pas rendu cette loi caduque, mais elle a sonné le glas de l'importance partisane du centre, et donc du Parti radical, dans la vie politique. Dans un régime présidentiel et bipartisan, le paradoxe du centre est que moins il existe (à travers des hommes et des formations), plus il gouverne, selon la formule de Maurice Duverger remise au goût du jour par Éric Zemmour. On peut en revanche, se demander si le succès du populisme de droite représenté par le Front national ne serait pas en train d'initier un renversement complet du sinistrisme, qui deviendrait donc un dextrisme, avec des formations de droite comme "Les Républicains" poussées progressivement vers la gauche. Le choix de Juppé ou de Sarkozy pour représenter la droite en 2017 sera très instructif à cet égard.
Finalement le seul reproche que l'on peut faire à cet excellent petit ouvrage est de s'achever par une curieuse apologie du radicalisme, en forme de programme pour le XXIe siècle, qui reprend plus ou moins tous les poncifs "modernistes" sur l'Europe, la régionalisation u la réforme de la fonction publique. Yves Morel nous avait paru mieux inspiré politiquement dans son essai en tout point remarquable sur la question scolaire, La Fatale Perversion du système scolaire français, paru, également chez Via Romana, en 2011.
Stéphane Blanchonnet
Fiche technique
- Couverture
- souple
- Date de parution
- 11 juin 2015
- Dimensions
- 13,5 x 20,5 cm
- Pages
- 311