Hugothérapie
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Hugothérapie

Pierre-Antoine Cousteau

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« Sans aller plus avant dans l’itinéraire de ses convictions, nous voyons assez comment le Poète a pu servir de guérisseur et de guide à un homme dénué de maturité politique et rebelle au sens de l’histoire tel que l’était Cousteau. »

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Avec une préface de Jacques PERRET

   « Sans aller plus avant dans l’itinéraire de ses convictions, nous voyons assez comment le Poète a pu servir de guérisseur et de guide à un homme dénué de maturité politique et rebelle au sens de l’histoire tel que l’était Cousteau. Aussi écoutez la profession de gratitude qui termine l’avant-propos : « Si ce petit recueil contribue, si peu que ce soit, à consolider en France la République et la Démocratie, je n’aurai pas perdu mon temps. »
   « Suivent alors les citations, classées, étiquetées selon la progression thérapeutique mise au point par l’auteur. De ce florilège hugolien sélectionné dans la grande paix des prisons, vous composerez des philtres souverains qui rééduqueront pour toujours vos tripes républicaines corrompues par l’excès du bon sens et l’abus du raisonnement. Et même si le lecteur n’est pas à guérir d’une affection politique, mais simplement tourmenté par cette irritante question de savoir si, oui ou non, le monstre génial était un imbécile comme le prétendent certains connaisseurs, ils trouveront dans ce digest de quoi se faire une opinion personnelle étayée sur des citations choisies avec une objectivité aussi édifiante que récréative. Enfin, les gens pressés qui n’aiment pas la discussion pourront toujours s’en tenir au jugement que le poète exprima sur lui-même dans cet alexandrin limpide : « Oui, vous avez raison, je suis un imbécile ! »
   « Ce cri émouvant a été lâché dans les Quatre vents de l’Esprit. On pourrait y voir une espèce de boutade grandiose, une manière de modestie gigantesque, mais Cousteau lui fait rendre le son pathétique d’un aveu spontané. » Jacques Perret

   Frère du commandant Jacques-Yves Cousteau, Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958) est un journaliste et écrivain dont Jean Galtier-Boissière dit qu’il fut le plus brillant de sa génération.

Autres ouvrages du même auteur : voir ici ; de Jean-Pierre Cousteau, voir là.

Dans la presse

Le Point N°2227, 14 mai 2015

Incarcéré à la Libération pour délit d'opinion fasciste, le journaliste Pierre-Antoine Cousteau (1906-1958), frère aîné du commandant Cousteau, dit avoir trouvé la rédemption en épluchant pendant ses neuf années de bagne l‘intégralité de l'œuvre de Victor Hugo. En témoigne ce petit manuel réédité, intitulé « Hugothérapie ». Voici quelques « hugoliades » qui inspireront ou, mieux, préserveront les âmes égarées des mauvaises pensées

Délectation. Les métaphores font mouche, comme dans cette lettre de 1870 adressée « aux femmes de Cuba » : « La conscience est la colonne vertébrale de l'âme; tant que la conscience est droite, l'âme se tient debout. »

Imprégnation. Les « principes immortels » ponctuent l’œuvre, étayant l'édifice idéologique de notre civilisation contemporaine : « La République est comme les déesses d'Homère, elle saigne et ne meurt pas. »

Consolation. Si Hugo peut dégainer ses certitudes, c'est parce que « le doute ne l'effleure jamais »: « Il n'y a qu'une nécessité, la vérité; c'est pourquoi il n'y a qu'une force, le droit. Le succès en dehors de la vérité et du droit est une apparence. »

 Satisfaction. Son apologie du peuple et sa philosophie de l'avenir semblables à celle des maîtres contemporains de la dialectique progressiste, gonflent d'espoir : « Les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples, jamais. » Ou: « Autrefois, il n'y avait que les grands, maintenant il y a les petits. » AUDREY LEVY

Lecture et Tradition

   Après avoir purgé neuf années de prison, parce "qu'il avait (très) mal pensé", Pierre-Antoine Cousteau fut libéré en juillet 1953. Il mit "à profit" ce long temps de détention pour lire l'intégralité des œuvres d'un certain nombre d'écrivains et de chroniqueurs : Proust, Rivarol, Anatole France, Napoléon Ier, La Fontaine, Machiavel, Montesquieu, Michelet, Lamartine, Rousseau, Diderot... et Victor Hugo. De la lecture et de l'étude de ce dernier, crayon à la main, il compila un "florilège" qui fut "la première de ses publications d'homme libéré", parue, en 1954, chez un éditeur ami, provincial et peu connu, les Editions touristiques et littéraires, sises à Bourg-en Bresse (Ain). Il donna à son ouvrage le titre d'Hugothérapie ou Comment l'esprit vient aux mal-pensants qui vient d'être réédité (Editions Via Romana, 2015), augmenté d'une préface (qui ne figurait pas dans la première édition), constituée par le texte de la critique de Jacques Perret a publiée, au moment de la parution originale du livre, dans le journal Aspects de la France (n° du 27 août 1954). Elle s'achève par ces propos :

   "Je suis tout content de voir que mon vieux confrère de la presse pourrie, qui a frôlé re poteau et goûté le bagne sans cesser d'être beau joueur, n'a rien perdu de sa verve diabolique. C'est un affreux fasciste, mais j'ai un faible pour les incorrigibles de son espèce".

   Le livre s'ouvre avec un long texte (70 pages) que Cousteau a intitulé Mode d'emploi au cours duquel il expose le cheminement, ou l'évolution ou bien encore l'itinéraire opportuniste de l'écrivain au fur et à mesure de la progression de sa "carrière". À lui seul le récit de "la vie de cet homme incomparable qui arracha à l'erreur tant de malheureux et à qui je dois mon retour à la lumière" est magistral, débordant d'humour, d'ironie et de subtil sarcasme. Il y brosse le portrait d'Hugo et de son œuvre, soulignant ses multiples facettes, ses revirements, ses travers, son tempérament prétentieux, son caractère orgueilleux, autant de traits qui imprègnent l'ensemble de ses innombrables écrits. C'est, à notre connaissance, un des très rares livres parus en langue française qui déboulonne de façon aussi incontestable cette statue "emblématique" de notre patrimoine littéraire. Si nous ne nous faisions violence, nous serions enclins à en citer de très larges passages pour l'édification de nos lecteurs et, surtout, la rectification qu'ii est nécessaire de connaître d'une réputation imméritée, pour ne pas dire honteusement usurpée. Aussi, nous contenterons-nous de relever quelques extraits seulement, mais qui seront bien suffisants pour susciter le désir d'en "savoir plus" et de se précipiter sans tarder sur le livre pour prendre connaissance de ce portrait entièrement "revisité", selon cette expression tellement à la mode de nos jours (mais que nous ne jugeons pas spécialement heureuse...). "Lorsqu'on parle des idées de Hugo, il est bien entendu qu'il ne s'agit pas des balbutiements de l'adolescence, mais de ra pensée éclairée, épurée, affermie de l'âge mûr (...) La France entière est sillonnée de boulevards Victor-Hugo, d'avenues Victor-Hugo, de places Victor-Hugo, d'esplanades Victor-Hugo, de squares Victor-Hugo. Et ce n'est pas seulement le goût des alexandrins sans chevilles qui indéterminé - même dans une République aussi athénienne que la nôtre - pareille éclosion de plaques bleues. L'envahissement par le Poète des artères municipales est d'abord la consécration de sa Pensée. Ce n'est que justice. On chercherait en vain dans toute l'Histoire de France un homme plus intelligent que Hugo. Si grand qu'il soit par son art, il est encore plus grand par ses idées. Il a tout pénétré et tout compris. Et d'ailleurs il le savait si bien que, malgré son humilité, il ne cesse de nous avertir qu'il est Le Penseur. Sans oublier ni la majuscule de l'article, ni la majuscule du substantif. Devant cette pensée-là, on vacille, on a le souffle coupé, on se sent aussi petit que M. Perrichon face à la mer de Glace. Et pourtant, cette pensée colossale est simple, vertu bien française, et elle reste accessible à tous. C'est pourquoi on ne m'accusera pas, je l'espère, d'un excès de présomption si j'essaie, en toute modestie, d'en dégager les grandes lignes (...) Victor Hugo vogue tout naturellement dans le courant de l'Histoire. Il est en quelque sorte prédestiné à l'Historicité et à l'Historicisme. Ses premiers vers, ceux des années 20, sont d'inspiration vendéenne : catholique et monarchiste toujours ! Sauvons, sauvons la France au nom du Sacré Cœur ! Qui lui reprocherait ? Les Chouans, Cadoudal et l'armée de Condé viennent d'être revalorisés par la Chambre Introuvable. Et il est bien légitime que Louis XVIII octroie une pension à un garçon d'avenir qui s'est crânement pénétré des idées de son temps (...) Victor Hugo a vingt et un ans. Nul mieux que lui n'a dépeint, ensuite, l'affreuse misère dans laquelle se débattent les jeunes poètes (...)"

   Cousteau évoque ensuite l'avènement de Charles X qui nomme "son aimable panégyriste chevalier de la Légion d'honneur", âgé de 23 ans. Puis advient la destitution du roi et la "révolution" de 1830 :

   "Ses ailes de géant ne l'empêchent pas de marcher dans la bonne direction. Dès que la victoire des barricadiers est assurée, n'écoutant que sa conscience, il vole, plume en main, à leur secours. Et point, si j'ose dire, avec le dos de la cuillère (...) Le fils de Philippe-Egalité connaît les usages. Il sait qu'un gouvernement digne de ce nom se doit d'encourager les ralliés. Hugo est promu officier de la Légion d'honneur. Puis, quelques années plus tard, après son élection à 'Académie, il est nommé Pair de France."

   Arrive, alors, une nouvelle révolution, celle de 1848 en faveur de laquelle il opère un ralliement supplémentaire qu'il effectue avec une souplesse qui "confine au grand art" :

   "Pas la moindre raideur. Du travail en souplesse. Du coup d'œil. De la volonté. De la promptitude. De la précision. Un sens aigu de l'occasion. Et cette étincelle de génie qui détermine le succès (...) Victor Hugo s'installe parmi les vainqueurs de 48. Il s'y heurte - c'est inévitable - à la jalousie de militants à l'âme contrefaite qui s'autorisent de leurs années de prison pour trouver que la foi républicaine du pensionné de Louis XVIII, du décoré de Charles X et du Pair de France de Louis-Philippe est un peu jeunette. Hugo dédaigne ces attaques. Il plante un arbre de la Liberté. Il surenchérit sur  les harangues de ses rivaux. Et finalement, il est élu député de Paris : le peuple de la capitale a toujours eu un goût évangélique pour les durs de la onzième heure."

   L'épisode suivant est celui qui va conduire Napoléon III à la tête du pays:

   "Hugo fait le siège du Prince-Prétendant qui devient, après son élection, la Prince-Président. Il multiplie les ronds de jambe. Il dîne à l'Elysée. Entre la poire et le fromage, il chuchote que si l'on a vraiment besoin d'un monsieur sérieux, distingué, honnête, musicien, catholique, père de famille, bonne présentation, bien sous tous les rapports, pour le ministère de l'instruction publique, il est prêt, lui, Victor Hugo, à se dévouer."

   Il est éconduit et en éprouve une immense amertume qu'il exprime dans une épithète cinglante à l'égard de l'empereur qu'il appelle Napoléon-le-petit, Augustule. Tout est consommé, Hugo quitte la France et se réfugie dans l'exil:

   "Voici le poète contraint de renoncer à sa vocation de thuriféraire pour entreprendre, sur un rocher ( de Jersey), une carrière de martyr. Sitôt la frontière franchie, il se hâte de se proclamer, comme tel, de crier misère, de rugir contre la barbare oppression dont il se sent accablé."

   Là se situe un événement très curieux : un discours prononcé par Hugo, aux habitants de Jersey, le 18 juin 1860 (sic !) qui inspire ce commentaire à Cousteau:

   "Sur son rocher anglo-normand, Hugo est le Français-qui-parle-aux-Français. Il n'a pas de micro mais le cœur y est. Le cœur et la technique. Sans l'aide de personne tout seul, spontanément, il a découvert, il a créé les grandes règles du genre.  Les successeurs, ensuite, n'auront plus qu'à démarquer ses procédés pour être certains d'atteindre leur but (...) Voici donc Hugo devenu la figure de proue de la France libre. Inlassablement, il explique à ses compatriotes du continent : 1°/ que leur condition présente est intolérable;  2°/ que la libération est proche ; 3°/ que tout de suite après, ils connaîtront des lendemains qui chantent."

   Désormais l'affaire est entendue : Hugo est devenu le "champion" de la libération de la France. Dix ans plus tard survient la défaite de l'empire en face de la Prusse, la fin de Napoléon III et la naissance de la IIIème République:

   "Au lendemain de ces malheureuses convulsions, Hugo jouit dans le monde entier d'un prestige écrasant. Pendant vingt ans, il a été le porte-parole de la République-martyre. Il est désormais le héraut de la république triomphante. Et, comme chacun sait que la France et la République sont une seule et même chose, il n'est pas excessif de dire qu'il est la voix de la France (...) Il a vécu assez longtemps pour voir se consolider la Troisième République dont, pendant ses vingt années d'exil, il a enfanté l'espérance. Il la couve, cette jeune république, il la choie, il la fortifie de ses conseils, il l'encourage de ses caresses. Il reprend, pendant ces dernières années de gloire, tous les grands thèmes qu'il a déjà parés du lustre de son génie. Il est devenu la conscience vivante de la France. C'est à l'apogée de cet apostolat que la mort le surprend."

   La deuxième partie du livre est constituée d'un choix des "Plus grands textes de la geste hugolienne", classés en 13 paragraphes thématiques qui représentent 160 pages de citations ponctuées de judicieux commentaires de Cousteau, qui les définissait comme une "Anthologie des pages les plus absurdes de Victor Hugo". L'ouvrage s'achève par un chapitre, Genèse, qui reproduit le contenu de quelques lettres adressées par Cousteau à sa femme, de mai 1946 à février 1953, au cours desquelles il lui expose comment se déroule et avance son travail d'exégèse hugolienne. Dans l'une d'elles (14 novembre 1947), il brosse un magnifique portrait de Rivarol que nous recopions intégralement, tant est lumineusement dit, en quelques phrases, ce que représente l'œuvre de Rivarol, aujourd'hui bien oublié et très peu connu :

   "À 41 ans révolus, moi qui suis, par définition, un intellectuel, j'ignorais Rivarol, je n'avais jamais lu Rivarol!!! Incroyable ! Monstrueux ! Et il a fallu la bibliothèque de Clairvaux pour que cette lacune se comblât ! Si j'étais mort sans avoir lu Rivarol, je ne me le serais jamais pardonné. Tout ce qu'il fallait dire sur les grands ancêtres, sur les immortels principes, Rivarol l'a dit. Et il l'a dit en journaliste, au jour le jour, avec un sens de la prophétie peu commun chez les écrivains politiques. Facile aujourd'hui de voir les conséquences de la chose, mais lui, il écrivait au moment où on prenait la Bastille et où tout le monde s'en réjouissait. Et il voyait exactement ce qui en découlerait. Et il le disait dans cette langue éblouissante du XVIIIe siècle que nul ne peut plus imiter avec autant d'esprit que Voltaire, plus peut-être même : un Voltaire rodé, déniaisé par les événements. Si j'ajoute que Rivarol est à la fois contre les immortels principes et contre l'obscurantisme et qu'il est mort en exil, vous voyez quelle âme sœur j'ai découverte là ! Et c'est à cet idiot pyramidal de Victor Hugo qu'on a foutu des places, des avenues et des avalanches de citations dans les morceaux choisis !"

   Nous avons été long, mais le sujet le méritait amplement. En conclusion rapide, nous ne pouvons mieux faire que de recommander instamment la lecture de ce petit livre décapant, anticonformiste et totalement "réactionnaire", en particulier aux collégiens et lycéens qui ne connaissent qu'un aspect de l'œuvre d'Hugo, celui imposé par les censeurs républicains et parfaitement dans la norme de ce que doit être le bien...

Annexe et complément:

   Peu de temps après la mort de Geneviève Dormann (cf. notre hommage nécrologique paru dans le no 697, mai 2015, de Lectures françaises), je me suis plongé dans la lecture d'un de ses livres les plus connus, Le roman de Sophie Trébuchet (paru aux Éditions Albin Michel, en 1982) dans lequel elle a entrepris de raconter, à sa façon, dit-elle, l'histoire et le récit de la vie de celle qui fut la mère de Victor Hugo. Elle l'a fait suivre d'une postface dans laquelle nous pouvons lire :

   "Alors que tous les personnages proches de l'illustrissime Victor Hugo, même les moins intéressants, ont fait couler beaucoup d'encre et de pellicule, un seul est resté dans l'ombre: celui de sa mère, épouse du général Hugo. La plupart du temps, on l'évoque rapidement dans les biographies de l'écrivain. On la mentionne parce qu'il fallait bien que le "grand-père de la République" eût une mère, mais toujours en privilégiant son rôle maternel au détriment de sa vie de femme. Pourtant, la brève existence de Sophie Trébuchet, née à Nantes, 17 ans avant la révolution et morte à 49 ans, pendant la Restauration, ne manque ni de mouvement ni de piquant. Pourquoi ce silence? Tout simplement parce que Sophie Trébuchet n'a pas eu une vie compatible avec ce qu'exigeait la morale traditionnelle du XIXe siècle et la moitié du nôtre (...) C'est pourquoi, pendant longtemps, pour ne pas ternir l'image d'Epinal du héros national qu'était devenu Victor Hugo, on a escamoté la vie de cette femme jugée trop peu convenable pour la mère d'un tel monument (...) Victor Hugo, lui-même, sacré menteur quand cela arrangeait sa légende ou ses intérêts, contribua beaucoup à épaissir le brouillard. De même qu'il s'inventa une noble ascendance paternelle, il falsifia la vérité en ce qui concerne sa mère, notamment dans ses souvenirs dictés à sa femme Adèle et qui parurent en 1863, sous le titre Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie."

   Nous ne savons pas si Geneviève Dormann a eu connaissance du livre de Pierre-Antoine Cousteau (probablement pas puisque lorsqu'elle a entrepris la rédaction de son ouvrage, celui de Cousteau, paru un peu moins de trente années auparavant, chez un "petit" éditeur et imprimé à petit tirage n'ayant bénéficié d'aucune publicité "officielle", était très certainement épuisé). Cela nous permet de constater que deux esprits libres et indépendants, n'acceptant pas de se courber sous les fourches caudines du politiquement et du littérairement "correct", ont émis le même jugement, sans se concerter, sur l'idole de la République des lettres !

Jérôme SEGUIN

Action Familiale et Scolaire, n°241, octobre 2015

VICTOR HUGO: UN GENIE MALFAISANT Pour célébrer les 130 ans de sa mort.

    Victor Hugo était un monstre sacré de la littérature, un touche-à-tout à la fois écrivain, dramaturge, poète, dessinateur, journaliste. Auteur de ce qu'on appellerait aujourd'hui des best-sellers… Victor Hugo était un ogre créatif, une force de l'esprit capable de s'enflammer, de s'indigner mais aussi de s'attendrir sur le sort des plusfaibles. "Plus qu'une plume de génie, c'est aussi un engagement politique", résume France Info.

   Le Figaro y consacre 57 pages de citations, toutes sélectionnées de façon à ne pas écorner l'hagiographie officielle. Hugo est mort il y a 130 ans. La République laïque, une, indivisible et ses séides, journaleux, philosophes, écrivains et artistes de tout poil, ne manquent pas de célébrer cet anniversaire. Fort heureusement, voilà un petit livre, Hugothérapie, qui apporte quelques correctifs à la sainte image et à l'enthousiasme idéologique ambiant. S'il est un régal pour l'esprit il est aussi d'un grand intérêt pour la formation. Son auteur, Pierre-Antoine Cousteau, dit PAC, issu de l'extrême gauche, en était arrivé, au vu du délitement de la troisième république et de la dégénérescence de la France, à la conviction que l'Allemagne était "la dernière chance de l'homme blanc". Journaliste, puis dirigeant du journal "Je Suis Partout" il œuvra aux cotés de Robert Brasillach. Condamné à mort à la Libération pour intelligence avec l'ennemi, sa peine fut commuée en détention à perpétuité: il fut gracié par Vincent Auriol en 1953 et mourut en 1958.

La genèse d'une pseudo "conversion"

   PAC célèbre le cinquantième anniversaire de la mort d'Hugo à sa façon ! Si il reconnaît le talent et le génie du poète, c'est d'une plume ironique, feignant l'admiration, qu'il étrille le penseur, l'idéologue, le belliciste, le politicard, la girouette, le chantre de la République, qui dira de lui-même, en un alexandrin bien frappé : "Oui, vous avez raison, je suis un imbécile".

   C'est à cette démonstration qu'est consacré ce petit livre, abondantes citations à la clé, assorties de commentaires ironiques, en seconde partie.

   Dans la première partie, "Mode d'emploi", il explique "comment l'esprit vient aux mal-pensants" (sous-titre du livre). Son crime ayant été de mal penser, la prison se devait d'être, écrit-il non sans humour, l'instrument de son "amendement", autrement dit de sa rééducation. Il lui fallait se racheter de sa faute et trouver les moyens d'une "direction spirituelle". Il se plonge, crayon à la main, dans la lecture et l'étude de moult auteurs que la bibliothèque de la prison offrait à ses pensionnaires. L'Emile, le Contrat Social, la Nouvelle Héloïse de Rousseau ne lui font pas verser les "torrents de larmes" qu'exige son amendement. Il entreprend alors la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, Diderot, Montesquieu. Lamartine, Michelet...sans parvenir à extirper les "affres du doute" sur son "crime". Las ! Il se tourne vers "les pères contemporains de la pensée émancipée"; Mauriac, Duhamel ne le font pas plus gravir les étapes d'un renouveau intellectuel, spirituel et moral que Sartre, avec sa "métaphysique existentielle que l'éminent auteur de La Nausée édifie...à partir de l'orifice anal de M. Jean Genet, pouêt-pouêt relégué". Les formules assassines pour exécuter ces maîtres de la pensée correcte contemporaine sont un délice pour le lecteur : amusement et même rire assurés!

Hugo, "directeur spirituel"

   "J'étais un misérable profondément corrompu, j'avais perdu la notion du bien et du mal, j'errais sordidement dans les ténèbres. Soudain j'ai rencontré Victor Hugo et ce fut la lumière. Ma conscience s'est aussitôt redressée et mon amendement est devenu une rayonnante réalité". La (re)lecture des Misérables le conduit à s'immerger dans l'œuvre complète de V. Hugo; romans, théâtre, discours, correspondance... : "du plus profond de mon être, une voix intérieure, la voix, peut-être, du Grand Architecte de l'Univers me cria que j'arrivais à un tournant de mon destin, que j'étais au bord de la grâce". La "conversion" de PAC, pour rire bien entendu. va commencer.

Toujours dans "le sens du manche"

   Jacques Perret qui préfaça "Hugothérapie" lors de sa parution, ne manque pas de souligner la flexibilité des convictions du "Gigantesque poète français: barre en main il gouverne avec sagesse et fermeté dans le sens de l'Histoire". Son soutien à Louis XVIII lui vaut une pension ; à Charles X il doit une décoration: la révolution de 1830 le conduit à rejoindre les rangs populaires et à vilipender la monarchie, pour aussitôt "s'installer dans la pairie et cajoler Louis-Philippe aux Tuileries"; il prend congé acrobatiquement de ses hôtes en 48 pour opérer une conversion foudroyante et géniale comme nous n'en verrons plus qu'en 1945. Le poète continue ses contorsions pour offrir son talent et accueillir Napoléon III, qui ignore superbement Hugo; de dépit, le génie s'exile volontairement à Guernesey et entre en résistance contre "Napoléon le petit". J. Perret note: "C'est "Radio Guernesey" et Cousteau nous compose le parallèle avec une piété ingénieuse et d'édifiantes références où nous découvrons même un appel du 18 juin 1860 : si le général De Gaulle avait su ça, il aurait pu se prévaloir d'une incarnation jumelée de Jeanne d'Arc et Victor Hugo". La préface de Perret, on le voit, est dans le ton que Cousteau donne à ses propos.

Le "moitrinaire"

   C'est à la réflexion sur un autoportrait d'Hugo à partir de ses écrits qu'est invité le lecteur. Les 8 pages de citations qui ouvrent la seconde partie sont autant de munitions qui déboulonnent la statue. Le poète y apparaît, sous des dehors faussement modestes, aussi imbu de sa personne que sont boursouflés et ronflants la plupart de ses écrits "engagés".

L'idéologue

   La raison des honneurs réservés à Hugo depuis 130 ans se trouve essentiellement dans l'idéologie véhiculée : "On chercherait en vain dans toute l'Histoire de France un homme plus intelligent que Hugo. Si grand qu'il soit par son art, il est encore plus grand par ses idées. Il a tout pénétré et tout compris. Et d'ailleurs il le savait si bien que, malgré son humilité, il ne cesse de nous avertir qu'il est Le Penseur, n'oubliant ni la majuscule de l'article, ni la majuscule du substantif. Devant cette pensée-là, on vacille, on a le souffle coupé, on se sent aussi petit que M. Percichon face à la mer de Glace." (p.47). "Plus il pénètre au cœur de la démocratie… dès que Hugo est touché par la grâce, la chorée verbale se déchaine, le guignol devient épique et le flot des mots entrechoqués s'enfle superbement... " (p.45)

...sérieux.

   Des croisades et combats de Hugo pour la démocratie, la liberté, l'égalité, la fraternité, de ses leçons de morale républicaine, de ses appels à la révolte, de ses engagements (toujours en écrits et parfois en alexandrins) ...PAC en tire la quintessence et simule l'admiration: "On est tout de suite mis en confiance par son sérieux. J'aime les gens sérieux. Ils me reposent de cet éternel persiflage par quoi les Français s'efforcent de démontrer à l'univers qu'ils sont spirituels. Hugo, lui, est sérieux. Il est extraordinairement sérieux. Il prend tout au sérieux, à commencer par lui-même. Il a horreur de l'ironie, il réprouve l'odieuse frivolité du XVIIIe siècle de ce siècle léger il ne goûte que les grands coups de gueule et les grands coups de couperet des années 90 qui mirent un terme si heureux à de répugnantes polissonneries" (p.35).

Révolutionnaire, va-t-en guerre et traître.

   Sur l'air de "Allez, enfants de la patrie", les rêves de lendemains qui chantent, les exhortations à la paix universelle et à l'autodétermination des peuples, l'espérance en une démocratie mondiale (les Etats Unis du Monde) conduisent Hugo à soutenir toutes les révolutions avec leurs violences, à être le supporter des guerres même contre la France et à encourager - de loin - à la guerre civile quand son idéologie le commande et qu'il s'agit d'abattre "Napoléon le petit', espérant "la France qui tombe avec le bruit que ferait la chute d'un cercueil" (Anniversaire de 48,24 février 1855). Et dans sa lettre aux Mexicains en guerre contre la France, de 1863: "Vous avez raison de me croire avec vous...Je suis avec vous. Nous sommes debout contre l'empire, vous de votre côté, moi du mien, vous dans la patrie, moi dans l'exil. Combattez !Luttez ! Soyez terribles ! Vaillants hommes du Mexique, résistez!" Les citations relatives à cette face bien cachée de notre Victor national justifieraient aujourd'hui pour le moins une incarcération pour intelligence avec l'ennemi ! Sa lettre aux Allemands intégralement reproduite est un chef d'œuvre de collaborationnisme. Mais, chut ! Nos jeunes têtes blondes ne doivent pas connaître attitudes et propos qui ne sont pas sans ressemblance avec ceux condamnés à l'issue des périodes les plus sombres...

Hugo et Dieu.

   Le dieu maintes fois invoqué par Hugo s'apparente plus au GADLU cher à certains frères trois points qu'au Dieu révélé. Le prouvent ses piques à l'égard des prêtres, des dogmes, des vérités chrétiennes. "Hugo croit en Dieu, en un Dieu aux contours un peu flous, mais bien intentionné et plutôt sympathique avec qui il condescend parfois à dialoguer. Sur certaines photos où son attitude apparaît comme particulièrement inspirée, le poète a écrit de sa main "Victor Hugo causant avec Dieu". Ce sont très certainement ses relations avec le bottin mondain de l'au delà par le biais du spiritisme et des pratiques ésotériques, qui le laissent écrire : "Je ne suis connu que de l'lnconnu'', "J'habite l'absolu, patrie obscure et sombre".

Réformateur social.

   La Révolution française qui "ferma la porte du mal et ouvrit la porte du bien" lui inspirent des envolées lyriques et admiratives. Elles sont l'exacte expression actuelle de la conviction que la France a débuté en 1789, selon nos élites autoproclamées. Il est le chantre du Progrès, qui n'est qu'un "des noms humains du Dieu éternel". Mais malgré la bonté naturelle de l'homme, la "transformation de la foule en peuple", travail auquel "se sont dévoués dans ces quarante dernières années les hommes qu'on appelle socialistes", les misères humaines subsistent. Alors, il n'est pas à court de solutions : Liberté contre "les libertés", suffrage universel et Démocratie face aux despotismes, suppression de l'armée contre la violence, société de droit contre la force, démocratisation de l'art et instruction contre l'ignorance mère de la criminalité, ...Notre République a vraiment des difficultés à changer musique et paroles ! Machiavélique, PAC résume : "Apprenez-leur la règle de trois, la liste des sous-préfectures, les propriétés du triangle rectangle et les os du squelette, et aussitôt ils cesseront de braver le Code Pénal. On n'en peut pas douter. Si Al Capone n'avait pas été poussé par la faim, jamais l'idée ne lui fut venue d'attaquer à la mitrailleuse des banques que l'inanition lui faisait prendre pour des boulangeries. Et, muni de son certificat d'études, Stavisky ne se fut pas embrouillé dans ses comptes". Et si, apôtre de la Paix, de la Fraternité, de la Concorde...Hugo condamne la peine de mort et la guerre, il en est le farouche défenseur quand son idéologie le commande. "La république a le devoir de se défendre, même contre le peuple ; car le peuple c'est la république d'aujourd'hui, et la république, c'est le peuple d'aujourd'hui, d'hier et de demain." Les décisions gouvernementales outrepassant la volonté du peuple (Maastricht, signature du traité de Lisbonne...), la répression par les forces de l'ordre de manifestations pacifiques ou les interventions plus ou moins musclées et discrètes de la police de la pensée s'inspirent bien du Penseur, qui au dessus de la France charnelle, plaçait la République...et ses "valeurs".

Visionnaire, prophète et futurologue.

   L'aspect le plus réjouissant du pamphlet concocté par PAC se trouve certainement dans les discours hugoliens relatifs à l'avenir : paradis sur terre, lendemains qui chantent, peuple souverain     , fin des guerres, suppression des prisons, fin de l'analphabétisme, Etats Unis du Monde...La ferveur et la véhémence des certitudes de l'idéologue se heurtent aux réalités : le bonheur humain, social, politique, international n'a pas été au rendez-vous du 20ème siècle. Et cela semble mal parti pour le 21ème!

   Après ses années de détention PAC affirmait "On se déshabitue plus facilement de percer les coffres-forts que de mal penser". Finalement, la prison et la compilation de tous les écrits de Hugo n'ont pas permis sa rééducation, même si d'une pointe venimeuse, il conclut : "Si ce petit recueil contribue, si peu que ce soit, à consolider en France la République et la Démocratie, je n'aurai pas perdu mon temps". Ce court traité d' "hugolâtrie simulée" propose au lecteur une mine de citations, une remarquable synthèse de la "pensée correcte" et sa critique, et surtout un moment de savoureux plaisir. Les jeunes générations y trouveront de quoi compléter et surtout corriger la version officielle diffusée par l'enseignement estampillé républicain. Il devrait figurer dans toute bonne bibliothèque. YIC

 

978-2-37271-002-2
22 Produits

Fiche technique

Couverture
souple
Date de parution
mars 2015
Dimensions
10 x 16 cm
Pages
285
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